Ça ne rentre pas !

— Maman, j’ai faim ! se lamente une petite voix derrière la porte.

— Papa et maman arrivent, deux minutes mon poussin. Mets-toi devant la télé en attendant.

— Je te dis que l’on n’y arrivera pas !

— Ne sois pas pessimiste pour une fois, Paul, force un peu !

— Tu es têtue comme une mule et je risque de te faire mal !

— Mais non, je vais me cambrer plus, je suis sûr que ça va rentrer tout seul !

— Toi et tes envies, je te jure !

— Attends je vais prendre une autre position pour voir !

— Cela ne changera rien, je te dis. C’est une question de taille !

— Mmmhh, mais pousse, bon sang !

— Tu veux que je demande à Dora de nous aider !

— Ah non, je ne veux pas que notre fille voit ça ! Toute l’école va le savoir après.

— Je suis sûr que d’un coup d’œil, elle te dirait que ce n’est pas possible.

— À cinq ans, c’est ridicule !

— Oui, hé bien pour l’instant, c’est toi qui est ridicule dans cette position !

— Tu n’as pas toujours dit ça, mon cœur.

— Question de circonstance et d’ambiance peut-être !

— Allez, j’en ai trop envie, on tente une dernière fois !

— Il faut vraiment que tu acceptes la vérité.

— Jamais ! Pousse encore !

— Désolé, Marie, rends-toi à l’évidence. Les pantalons en 36, c’est mort !

L’envie

Temps de lecture : moins d’une minute.

     L’incitation au voyage, voilà une belle idée. C’est en tout cas, ma remarque de départ.
Par un beau matin d’octobre, je flâne dans le parc de la Tête d’Or de Lyon. J’adore cet écrin de verdure, il a su garder son charme tout au long de ces deux siècles d’existence.
Les feuilles des arbres commencent à jaunir, apportant une touche supplémentaire de couleur qui invite à la contemplation. L’automne est ma période favorite, la promesse d’un bel été indien se dévoile petit à petit et ce beau Soleil réchauffe ma carcasse affalée face au lac. Toute la faune s’agite. Certains sont sur le départ, d’autres se préparent aux dangers de l’hiver.
À quelques mètres de moi, une femme s’approche, tournant la tête de gauche à droite, elle semble chercher quelqu’un. Mon esprit vagabonde à la vue de sa démarche féline et généreuse, me rappelant celle d’une lionne. Une envie de tendresse me prend aux tripes, une envie de caresses, de jeu de langues, quelque chose de doux et de chaud, un corps à corps délicieux et enivrant. À cet instant, un besoin bestial monte en moi, nous devons faire connaissance, elle doit devenir ma maîtresse pour que je me prélasse dans sa couche. Je dois déployer tous mes charmes, mettre en évidence mes atours, lui montrer qu’elle pourra profiter de moi sans retenue, à volonté. Lentement, je me lève et la rejoins d’un pas tranquille, je lui fais des yeux d’anges. Elle m’a vu, s’arrête et me sourit. La moitié du chemin est fait. Déjà, elle me tend une main fine et délicate.

— Bonjour petit chat, que fais-tu tout seul au milieu du parc ?

Born to be wild

Temps de lecture : moins d’une minute

     Je retire mon casque. L’Illinois est derrière moi maintenant. Bientôt, je serais en vue de Saint Louis. Appuyé sur ma selle, je respire à pleins poumons. Cela fait des semaines que je prépare ce road-trip et j’ai encore du mal à croire que je suis là ; les paysages sont très verts pour l’instant, très européens, des champs à perte de vue, un peu comme ma chère Bretagne. Mais je sais qu’ils vont changer. J’ouvre cette carte maculée de coups de feutres, elle sera ma meilleure amie tout au long de ce périple. Une préparation minutieuse où j’ai étudié chaque ville, chaque étape qui me permettrait de reposer cette carcasse usée. Reprendre des forces au Bagdad café en plein désert Mojave ou pourquoi pas, faire un détour par Las Vegas en passant dans le Nevada.
Mon visage est sale, la poussière a blanchi mes rouflaquettes impeccablement taillées, cela m’a amusé de les conserver. Je passe pour un Anglais auprès de la population locale, je dois juste éviter d’ouvrir la bouche avec mon accent à couper au couteau. Pour la première fois dans ma vie, je me sens libre, je suis sur la route 66, « the mother road » comme la surnomme les Américains. Devant moi, huit états, 3500 km de bitume et de sable. La Californie et Santa Monica. C’est mon dernier voyage, unique espoir de voir les rives du Pacifique. Le crabe qui me ronge a gagné. Mais dans ma tête, Steppenwolf joue toujours « Born to be Wild ».

Deux cent millions

Temps de lecture : 1 minute

Aujourd’hui, j’ai gagné deux cents millions d’euros à la Loterie. Oui, vous avez bien lu, 200 millions. Un hasard. Je souhaitais acheter des timbres et le buraliste n’en avait plus, du coup, j’ai joué au Loto, comme ça, sans raison. Je n’arrive toujours pas à réaliser l’importance du montant ni du nombre de zéros que cela représente. J’ai quitté l’école très jeune, vous savez. Vu mon salaire actuel, il m’aurait fallu des milliers de vies pour espérer une somme pareille. C’est fou !
Et maintenant ? Dois-je en parler à ma femme ? À mes enfants ? À mes amis ? Comment vont-ils réagir ?

Je suis sûr que je vais en voir débarquer pour me quémander de l’argent, tels des charognards sur un cadavre encore chaud. Je les vois d’ici frapper à ma porte avec insistance, prêt à l’enfoncer pour me prendre ce qu’ils vont considérer comme n’étant pas mon argent, vu que je ne l’ai pas gagné à la sueur de mon front. J’ai lu un article, il y a quelques mois sur des gagnants qui devenaient fous, dépensaient à tout-va et se retrouvaient dans la misère en moins de deux ans ! Certains quittaient leur femme ou leur mari, d’autres étaient victimes d’escroqueries, d’homicide même !
Je n’ai aucune envie de vivre avec la peur d’être volé ; me réveiller une nuit avec le couteau sous la gorge d’un soi-disant ami à qui j’aurais dit non ! Vivre dans une forteresse derrière des barreaux dorés, loin de ces vallées que j’aime tant.
Cette chance va me permettre de mettre du beurre dans les épinards, partir en vacances, pourquoi pas prendre l’avion pour la première fois de ma vie, m’acheter une belle maison, une grosse voiture, mais tout cet argent ne va-t-il pas me brûler les doigts ? Je vais attendre quelques jours et réfléchir à tout ça, aller me renseigner discrètement à la grande ville, ici tout se sait.

Demain, comme d’habitude, je retournerai travailler avec l’esprit serein, je dois prendre du recul et faire le point sur ma vie. J’ai laissé tellement de choses de côte par manque de temps, manque d’argent, c’est le moment d’accomplir une part de rêve.
Je sais déjà à qui donner : La mamie du troisième dans son petit appartement, toujours le cœur sur la main, celle que sa famille ne vient plus voir depuis qu’ils l’ont mis sur la paille. Les amis qui m’ont aidé sans contrepartie quand j’étais dans le besoin, mes voisins toujours prêts à rendre service.

Au moment où j’écris ces lignes, ce qui m’inquiète le plus, c’est mon épouse ! Je prie pour qu’elle ne change pas, que l’argent ne lui monte pas à la tête. Nous avons souvent eu du mal à joindre les deux bouts, mais nous nous aimons et ça, tout l’argent du monde ne pourra pas l’acheter, mais le détruire, c’est moins sûr.

Besoin vital

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     Après une longue traque qui a augmenté ma faim. Je n’ai qu’une hâte, trouver une proie qui permettra de me sustenter. Ce que j’aime par-dessus tout ; croquer dans leurs chairs, jeunes et fermes, faire gicler un liquide vital abondant, signe de bonne santé, puis accroître mon envie en humant les fragrances subtiles qu’elles dégagent.
Quelques fois, je dois lacérer une peau trop épaisse ou trop dure que j’arrache sans ménagement et abandonne sur place, mais la plupart du temps, je ne laisse aucune trace de mon passage.
Dès mon plus jeune âge, on m’a appris que je devais contrôler mon appétit, ne pas gâcher une nourriture devenue rare au fil du temps. La cuire pour la conserver plus longuement. La négliger pour assurer notre avenir et lui permettre de mourir de vieillesse pour qu’elle se multiplie.
Dans ce cycle de la vie, j’ai également habitué mes enfants à s’en nourrir, découvrir les bienfaits de cet acte naturel. Plus tard, je leur expliquerai comment leur donner vie et bien sûr, les récolter.