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Pour la première fois depuis des siècles, je fus délicieusement surpris par le sentiment de liberté procuré par ce nouveau corps. Dès les premières lueurs de l’aube, je partis sans attendre flâner dans le parc de la tête d’Or pour y gouter la finesse de ses sens. Depuis sa création, j’ai toujours aimé cet écrin de verdure qui a su garder son charme tout au long de ces cent-soixante ans d’existence. L’automne a toujours eu ma préférence, ce moment où les feuilles jaunies des arbres apportent une touche de couleur supplémentaire invitant à la contemplation. Durant des heures, je déambulais nonchalamment parmi les fragrances de fleurs et d’humus qui envahissaient mon odorat et ravivaient les souvenirs d’un lointain passé de cavalcades dans les grandes forêts des régions du nord.
Autour de moi, l’agitation de la faune sauvage excitait mon appétit dans un réflexe purement primal de carnivore. Certains se préparaient au départ, d’autres aux dangers de l’hiver.
Face au lac, le soleil à son zénith réchauffait mollement ma carcasse affalée sur la rive. Tout allait pour le mieux, la promesse d’un bel été indien se dévoilait et je pensais profiter de ce spectacle en attendant le prochain cycle. Quant à quelques mètres, une jeune créature à la crinière fauve et révoltée apparut dans mon champ de vision. Sans que je sache pourquoi, mon esprit s’émerveilla de sa démarche féline, souple et généreuse, me rappelant celle d’une lionne. Ses yeux émeraude remplis de tristesse me touchèrent en plein cœur, m’incitèrent au voyage, exaltant une envie de tendresse, une faim de caresse, de jeu de langues, quelque chose de langoureux et de chaud. À cet instant, quel qu’en soit le prix, nous devions faire connaissance, j’eus le besoin impérieux qu’elle devienne mienne, d’être son esclave, d’unir nos âmes et de me prélasser dans sa couche.
Sans attendre, je me levai et la rejoignis d’un pas tranquille, déployant tous mes charmes. Je mis en évidence mes yeux d’ange pour lui confirmer qu’elle pourra profiter de moi sans retenue. Elle me vit et un sourire radieux vint aussitôt illuminer son visage. La moitié du chemin était accompli, ma toile prête à l’accueillir. Quand nos regards se croisèrent, elle se pencha et me proposa une main fine et délicate.
— Bonjour petit chat, que fais-tu tout seul au milieu du parc ?
Était-ce l’exaltation des sens de mon hôte, les miens ou la symbiose des deux qui ont façonné cet instant magique, je ne le saurais jamais. Ma quête fit une pause dans cette seconde d’éternité, nous unissant pour une vie. Après tout, mon prochain cycle pouvait bien attendre.