Le scénario

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 — Il était une fois…

— Non, tu déconnes, là ! Il y a des siècles que l’on ne commence plus une histoire comme ça !
— C’est un clin d’œil.
— Ça fait surtout scénariste en manque d’inspiration.
— Eh bien je l’enlève. On a une semaine pour pondre un scénario qui tient debout, c’est déjà très court alors tu ne vas pas me reprendre à chaque phrase !
— Je ne mets pas mon nom sur un scénar qui commence par : il était une fois !

 — Monsieur a des états d’âme maintenant. Cela ne pourra pas être pire que le flop des deux derniers, mets ton orgueil de côté.

— Bon, d’accord. Rappelle-moi la commande de la production, s’il te plaît.
— Alors… Ils veulent un film type fantasy avec un peu de magie, un château. En une phrase : un prince héritier tue son père pour prendre le pouvoir.
— Encore une histoire de prince ! La vache, ça va être difficile d’être original.
— Tu me laisses finir, s’il te plaît ? Et j’aimerais un peu plus d’optimisme de ta part.
— Oui bon, désolé. Continue.
— Donc, le film devra faire moins de 2h00 et être tout public, le titre envisagé par le pôle merchandising est : Le prince et la sorcière.
— Super ! J’adore ces gars-là. Je suis sûr que si je fais une recherche sur la toile, je trouve au moins dix films et cinquante bouquins avec ce titre-là ! Et puis ils vont encore nous coller une bestiole avec des répliques sarcastiques pour la vendre en peluche !
— C’est à la mode, et oui, il est certain que c’est issu d’un sondage sur l’envie des spectateurs. Alors arrête ! on écrit depuis trente ans, tu devrais avoir l’habitude, non ?
— Toujours pas. J’aurais dû accepter d’écrire des scénarios pour le français.
— Tu me serines ça depuis cinq ans. On n’avance pas là !
— Re-désolé, c’est quel budget ?
Jean parcourt de nouveau le document à la recherche de l’information pour éviter de perdre du temps.
— Cent millions.
— C’est tout ! J’espère qu’ils ne veulent pas un blockbuster pour ce prix-là !
— C’est le problème du réalisateur, ça. Pas le nôtre.
— On pompe le scénar d’un vieux classique comme l’année dernière, alors ?
— Ça va se voir tout de suite et la critique va nous immoler. C’est notre dernière cartouche, Marc. On ne peut plus se permettre un bide et je n’envisage pas de prendre ma retraite tout de suite.
— Moi non plus. Donc, on doit pondre une histoire originale avec un château, une famille royale et une sorcière. Tu as des détails sur les acteurs pressentis pour les rôles ?
— Oui, ceux sous contrat avec le studio. Le château en question est la propriété d’un actionnaire européen.
— Alors, je suis sûr qu’il va y avoir « l’autre » dedans ! Je déteste cet acteur, il te prend de haut et est totalement égocentrique. On pourra le supprimer avant la fin ? J’ai plein d’idées qui me viennent, là !

 Jean soupire et baisse la tête, navré.

 — Je concède que c’est un crétin, mais il est bankable. Attends, je regarde… non, je n’ai pas de consigne à son sujet !

— Chouette, enfin quelque chose de motivant. On le fait en trois actes ?
— Comme si on avait le choix, ça fait six décennies que le public est formaté sur ce schéma ! Tu as cru qu’on faisait un film d’auteur ?
— On peut rêver, non ! Allez on démarre le plan.
— Tu es pressé maintenant ? Laisse-moi deux secondes, j’allume le micro et… ah zut, mise à jour système !

 

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